Le profil du tempérament normal
ou le normal avant le pathologique

Il arrive la plupart du temps que le profil caractériel se situe dans les normes usuelles que la société reconnaît, sans pour autant rendre les situations faciles à comprendre, bien au contraire. Dès qu’il y a absence de symptômes clairs et bien définis, l’on se retrouve rapidement dans la zone du clair-obscur, où plus rien n’est bien reconnaissable. Le défi augmente encore avec l’enfant ou l’adulte surdoué, car l'intelligence vive non seulement impressionne mais déplace les points de repères habituels.

Il y a alors nécessité de revenir aux notions les plus simples de la psychologie moderne comme les sensibilités propres, la maturation cognitive, rappelant l’évolution de la pensée, et en particulier l’organisation temporelle et spatiale de l’individu. Si l’on observe une incapacité relative d’organiser ou respecter un horaire ou un agenda, sans besoin constant de rappel externe, un retard inhabituel dans les tâches de routine, une difficulté constante à respecter les échéances, une tendance même à renverser les principaux rythmes biologiques tel sommeil/nuit et travail/jeu, il y a bien indice que le sens temporel ne fonctionne pas au mieux. Dans la vie courante, l’on voit l’individu qui a mille projets mais ne les organise pas en fonction du temps réelle des autres mais de son seul temps personnel, plus rapide dans ce qu’il aime que ce qu’il aime moins; plus créatif dans l’action intense et le défi que le suivi quotidien des tâches ou des dossiers.

Dans la notion de l’espace, il y a la personne qui ne sait trop comment situer sa vraie place, soit qu’elle craint de la prendre soit qu’elle en demande davantage, parfois trop, sans prendre conscience qu’il s’agit du territoire de l’autre, sans penser concéder en retour une part de la sienne. Ce sera l’enfant qui prend l’habitude de dormir dans le lit parental, en dehors de périodes spécifiques d’angoisse de situation; qui s’approprie les jouets des autres sans jamais prêter les siens. Il s’agira de l’adulte qui se fait oublier ou encore qui étend son emprise et ses projets sans négocier la collaboration mais l’impose et à la limite bouscule sans croire qu’il dérange, mais plutôt qu'il vient en aide. Il peut s'agir d'un parent qui abuse de son autorité parentale pour mieux éduquer son enfant, d'un patron ambitieux qui souhaite conquérir des marchés mais à la fois insécurise ses employés, du chercheur qui multiplie des projets humanitaires mais exige des soumissions excessives de son entourage. Alors comment organiser cette limite du territoire, en favorisant le talent, mais sans souffrir de ses exigences?

Le profil du tempérament n'est pas une affaire à prendre à la légère. Trop souvent dans le regard que l'on jette sur l'individu, l'on ne voit que les circonstances qui l'entourent et qui paraissent l'avoir construit. Mais milieu et tempérament forcément interagissent, et vaut mieux un bon qu'un mauvais environnement. Sauf que le tempérament et ce qu'il contient de fondamental comme les rythmes biologiques, l'intelligence cognitive, affective, sociale, et les talents personnels sont des pierres d'angle qu'aucune théorie psychologique ne peut ignorer.

Rappel historique:
Les plus vieux auteurs de l'histoire du monde y font référence. Qui ne parlaient pas des sanguins, des bilieux, des introvertis ou extravertis, encore récemment. Il y a plus de 30 ans que les Dr Alexander Thomas et Stella Chess ont défini des types tempéramentaux, chez les enfants, dans une étude suivie de 25 ans. Pour eux, il y a une dizaine de traits singuliers qui se distinguent nettement à l'observateur aguerri.
Il s'agit:
1) du niveau d'activité motrice.
2) de la nature des rythmes fondamentaux, comme faim/satiété, propreté/saleté, sommeil/éveil.
3) de la capacité de rapprochement ou de retrait, devant un objet ou une personne.
4) de la capacité d'adaptation à une nouvelle situation.
5) de l'intensité de la réaction émotive, comme l'angoisse.
6) du seuil nécessaire de réponse à un stimulus.
7) du type d'humeur, plaisante ou maussade, etc. #9;
8) du niveau de distraction ou de facilité à terminer une tâche malgré la présence d'un autre stimulus.
9) de la capacité d'Attention (longueur de temps à la tâche) et de Persévérance, (poursuite d'activités face aux obstacles).
Dans cette perspective, l'enfant anxieux ne l'est pas seulement en fonction des événements récents mais également de sa propre nature, le rendant plus vulnérable à l'anxiété. Pour celui-là qui n'a pas atteint sa pleine maturation dans l'appréhension du temps, par exemple, toute séparation devient catastrophique, car incapable d'imaginer le retour futur de la personne aimée, ne pouvant que se situer dans le présent sans limite à défaut d'anticipation. Il aura sans doute besoin d'attention additionnelle, d'explications supplémentaires, d'écoute positive, mais cette nature ne pourra changer subitement. Il faut d'abord la comprendre telle qu'elle se présente.
Pour l'enfant qui n'aime pas se faire prendre ou caresser, il faut trouver d'autres moyens d'approche. Car il y a des personnes qui non seulement n'aiment pas le contact corporel mais le détestent comme s'il s'agissait d'une allergie cutanée. Le même enfant n'aimera pas le vêtement qui lui serre le corps, par exemple. Il voudra souvent rester nu, en pyjama ou survêtement. La moindre rugosité, couture, étiquette intérieure semble lui égratigner la peau. Il y a l'exemple d'un garçon de 8 ans qui se présente à l'école, au début de l'avril québécois, en pantalon court. Sans doute que le parent venait de ranger la lingerie d'hiver pour celle de l'été, et que lui, l'enfant, devait l'utiliser sur-le-champ, sans vraie notion de temps. Au niveau alimentaire, un autre garçonnet de 7 ans ne mangeait qu'à la condition que chaque mets ait une assiette distincte, sinon il refusait toute alimentation pendant des jours. Est-ce caprice ou sensibilité irréductible? Parfois, l'on assiste à des fixations alimentaires qui durent des mois, sans répit, puis soudainement disparaissent. Ou ces refus de se nourrir le matin et la fringale dès l'entrée à l'école. Enfants mal nourris ou difficiles à structurer.
C'est ainsi qu'il ne faudrait pas considérer pathologique ce qui relève des sensibilités particulières ou des sens eux-mêmes qui ont souvent une histoire propre que l'on ne devrait pas interpréter avant de la considérer comme maturationnelle.

 

Liens possibles : le temps, l’espace, les sens, l’intelligence multiple.

 

Claude Jolicoeur, pédopsychiatre, mars 1999.

 

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